10 ans après l’effondrement du Rana Plaza

Extrême pauvreté dans le textile au Bangladesh

Publié : 31/08/2023

Il y a 10 ans, l’effondrement du Rana Plaza, une usine de textile à Dacca au Bangladesh, causait la mort de 1135 travailleuses et travailleurs. Le monde entier a été horrifié par l’accident, et plus largement par les conditions de travail et de vie effroyables des ouvrières et ouvriers du textile dans ce pays.
Une décennie plus tard, est-ce que les choses ont changé ? C’est ce qu’est allée voir la consœur Caroline Lemay, travailleuse à l’ABI, l’Aluminerie de Bécancour (SL 9700), lors d’une mission du Fonds humanitaire des Métallos (FHM) auprès de son partenaire, le Centre de solidarité des travailleuses et travailleurs du Bangladesh (Bangladesh Center for Worker Solidarity).
Elle a été frappée par l’extrême pauvreté des femmes et des hommes qui fabriquent plusieurs des vêtements qui sont vendus au Canada. Il y a bien eu des améliorations à certains endroits, comme l’installation de lances d’incendie et le dépôt direct des salaires, dans le but que les ouvrières et ouvriers ne se fassent pas voler à la sortie de l’usine les jours de paie, mais dans l’ensemble, la situation est encore très difficile.
« Une femme qui va travailler tôt le matin est payée à la douzaine de chandails cousus et n’arrive pas, en 8 heures, à gagner un salaire décent pour vivre. Même si elle travaillait 12 heures, elle aurait du mal à payer le loyer », explique Caroline. Et quel loyer ? Une famille élargie s’entasse dans une seule pièce d’une maison de béton qui en compte une dizaine. « S’il y a un lit, c’est que la famille est plus aisée, sinon tous les membres couchent sur des couvertures par terre ou sur des poches de riz vides », raconte la militante syndicale qui, lors de son séjour, a rencontré la mère de l’une de ces familles dans son milieu de vie.
Lorsque les parents sont à l’usine, les grands-parents s’occupent des enfants, faute d’avoir accès à une garderie et une école abordables. Au coin des rues, on voit des enfants désœuvrés « sniffer de la colle dans des bouteilles de coke », ce qui est mieux que les sacs de plastique utilisés avant, qui provoquaient plusieurs asphyxies.
Au travail, les femmes cantonnées devant leurs machines à coudre individuelles sont payées encore moins que les hommes, qui manient des métiers à tisser.
Il n’est pas rare qu’elles soient punies au coin, voire même battues, si elles font des erreurs dans leurs tâches. De plus, les contremaîtres ne se gênent pas pour leur faire des avances et les inviter au cinéma.
« Ces femmes vivent un niveau de violence incroyable. Elles se font crier dessus par leur patron, parce qu’elles ne produisent pas assez, puis de retour à la maison, même après 18 heures de travail, ce n’est pas assez pour payer le loyer. De génération en génération, ce sont des travailleuses et travailleurs exploitables. Dès l’âge de 40 ans, ces personnes sont bonnes pour la retraite, car elles ne sont plus assez productives. Alors leur but, c’est d’avoir beaucoup d’enfants pour assumer leurs vieux jours. Et ces jeunes, ce sont les futurs travailleuses et travailleurs des usines ; leur avenir est déjà écrit ! », se désole Caroline.
Petite lueur d’espoir : elle salue le travail du Centre de solidarité, qui défend au quotidien les travailleuses et travailleurs, tout en poursuivant la sensibilisation avec des allié.e.s à l’extérieur du pays dans l’objectif de faire changer les choses.
« Il y a une belle énergie parmi les personnes qui veulent que ça change. Elles sont prêtes à en manger des claques, à mourir même, parce qu’elles veulent être la dernière génération à vivre ça », explique-t-elle à propos des responsables syndicaux du Centre.

 

Changer les choses
La solution passe par des pressions sur les entreprises qui commandent les vêtements fabriqués dans ces usines, afin qu’elles exigent de meilleures conditions de travail et soient prêtes à payer davantage. « Surtout pas un boycott ! Ces gens ont besoin de ce travail, et on ne veut pas que les usines se déplacent vers la Chine, un pays encore plus opaque », prévient Caroline Lemay.  
Le FHM a d’ailleurs organisé une campagne de pression auprès des magasins l’Équipeur et Canadian Tire en ce sens. Un projet de loi a aussi été déposé à Ottawa au sujet de la responsabilité des entreprises quant au respect des droits de la personne par rapport aux activités commerciales à l’étranger.
« On a fait des actions avant de se rendre au Bangladesh, puis en revenant au pays. Quand on rencontrait des ministres au Bangladesh, on leur disait, soyez certains qu’on va surveiller ça de notre côté, parce qu’on est soucieux des droits humains », souligne la militante qui, ce printemps, accordait une série d’entrevues aux médias d’ici sur le sujet, dans l’objectif de sensibiliser les gens aux conditions de travail et de vie dans l’industrie du textile.

Cet article est tiré du dernier numéro du magazine Le Métallo, disponible en ligne ici.

Caroline Lemay accompagnée de Kalpona Akter, la directrice et fondatrice du Centre de solidarité des travailleuses et travailleurs du Bangladesh