Entrevue avec la nouvelle présidente de la FTQ, Magali Picard

Publié : 24/08/2023

Militante syndicale chez ABB à Iberville (SL 3953), formatrice et correspondante au bureau de Brossard, Isabelle Bournival a réalisé une entrevue avec la nouvelle présidente de la FTQ, Magali Picard, élue au Congrès de janvier dernier. Fière membre de la nation wendate, celle-ci est issue de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). La FTQ représente plus de 600 000 travailleurs et travailleuses au Québec, dont les membres du Syndicat des Métallos.

 

Q. Isabelle Bournival : Comment as-tu trouvé tes premiers mois en poste ?
R. Magali Picard : Extrêmement excitants. […] J’ai remarqué une grande volonté des affilié.e.s de travailler ensemble. Je vois un syndicat comme le vôtre, les Métallos, qui vient en aide à un syndicat comme Unifor, et vice-versa. Je vois de grands syndicats qui font preuve de maturité et d’humilité, avec des gens qui sont là pour les bonnes raisons.
Les gens sont prêts à travailler différemment. Je sens des gens à l’aise dans leurs sièges et prêts à relever de nouveaux défis.

Q. IB : Les médias ont parlé de toi comme la cheffe de l’opposition non officielle. La prise de position plus militante semble avoir chamboulé un peu le gouvernement. Est-ce le cas ?
R. MP : Ça a été un feu roulant ces derniers mois dans les médias. Tant mieux si le gouvernement sent que la FTQ veut être plus entendue, plus présente. Il faut être capable de se faire entendre, surtout devant un gouvernement majoritaire de 90 député.e.s qui mène seul le Québec. On n’a pas demandé cette image d’opposition non officielle, mais si les médias nous la donnent, on va la prendre !
En toute humilité, on sent déjà de l’écoute de la part des ministres qui n’ont pas envie de se relancer dans une bataille médiatique avec la FTQ. On prend le temps de s’apprivoiser, de voir ce qu’on peut faire ensemble, de façon intelligente. On veut montrer notre ouverture, mais on veut aussi que nos priorités soient entendues, pas seulement les leur.   
Q. IB : Quels défis attendent la FTQ ?
R. MP : On a déjà commencé à travailler pour avoir une assurance médicaments universelle pour nos membres et pour la population en général. Une travailleuse technicienne en garderie m’expliquait récemment qu’elle devait choisir entre acheter des médicaments pour son fils ou faire une épicerie décente. Ça n’a pas de sens.
La négociation du Front commun en santé et services sociaux et en éducation se déroule actuellement… on parle de 400 000 travailleurs et travailleuses qui attendent de voir leur contrat de travail des prochaines années.
L’environnement et une transition juste, ça fait partie de nos priorités. Il faut prendre les devants et s’assurer que notre monde est protégé. Ça veut dire former des travailleurs et travailleuses pour amener cette transition à l’intérieur même d’une industrie. Souvent, les besoins ne vont pas disparaître, mais les outils, eux, risquent de changer.
Il faut aborder de front la transition juste et être la voix des travailleurs et travailleuses.
Actuellement, dans l’industrie forestière par exemple, le gouvernement parle à tout le monde, aux groupes environnementaux, aux patrons, mais pas aux travailleurs et travailleuses. Entendre le ministre [de l’Économie] dire « je ne me préoccupe pas des travailleurs, parce que la pénurie de main-d’œuvre va régler ça », c’est inacceptable ! Ces gens tiennent l’économie du Québec à bout de bras en période d’inflation. Compter sur la pénurie, c’est dire qu’ils auront des emplois de moindre qualité, et moins rémunérés. La FTQ va s’assurer que les travailleurs et travailleuses font partie de la transition.
Q. IB : Quel est le plan de la FTQ pour obtenir une loi anti-briseurs de grève au fédéral ?
R. MP : C’est un dossier prioritaire depuis des années, à la FTQ et au CTC. Pour la première fois dans l’histoire, avec un gouvernement minoritaire qui a un pacte avec le NPD, on a un réel espoir de l’obtenir. J’étais à Ottawa en février, pour une manifestation et une conférence de presse avec Alexandre Boulerice. On a rencontré des ministres et des député.e.s, pour leur dire qu’on les avait à l’œil et que ça ne pouvait pas rester que de belles promesses.
Dans la loi actuelle au Québec, avant même un conflit, il y a une négociation au sujet du niveau de services essentiels, pour ne pas mettre la population en danger. Si on bloque une entrée de restaurant et qu’un commerçant perd de la salade, c’est plate, mais ça fait partie du jeu. Au fédéral, on entend dire que le gouvernement envisage d’inclure une notion économique aux services essentiels.
En ce qui nous concerne, il ne faut pas que ça arrive, parce que tout peut être jugé essentiel d’un point de vue économique. C’est pour ça qu’on fait autant de représentation auprès des élu.e.s, pour que ça ne fasse pas partie du projet de loi.
Je suis inquiète que ça s’étire un peu. On va redoubler d’ardeur, pour que ce ne soit pas une fausse promesse. Je m’attends à ce le NPD mette aussi de la pression, qu’il soit prêt à renverser le gouvernement [sur cet enjeu].
Cette loi au Québec, qui vient des années 1970, est extrêmement importante. Il n’en demeure pas moins qu’elle devra aussi être mise au goût du jour avec la nouvelle réalité du télétravail.

Q. IB : Au sujet de la réforme en santé et sécurité, il reste encore plusieurs choses à définir dans les règlements. Quel est le rôle de la FTQ à ce sujet ?
R. MP : La FTQ a des sièges à la CNESST, qui est gérée de façon paritaire.
Notre travail, c’est de pousser nos priorités, de convaincre la partie patronale, et que ça fasse son chemin à la CNESST. Puis, le ministre du Travail présente ça à son conseil des ministres, au gouvernement. Quand on siège à des commissions comme celles-là, on représente les travailleurs et travailleuses de tout le Québec.
C’est très difficile actuellement. Des employeurs veulent couper en prévention dans des secteurs hautement prioritaires. On leur dit : la journée où vous allez toucher [à la prévention dans] nos secteurs prioritaires, ça va aller mal !
La CNESST est en train d’analyser l’ajout de nouveaux secteurs à prédominance féminine où il n’y a jamais eu de prévention. On parle ici des écoles, des hôpitaux, ou encore dans des milieux de travail où il y a des problèmes de santé mentale ou des problèmes musculosquelettiques. On constate que les chiffres [dans ces milieux de travail] cadrent avec la définition des secteurs prioritaires.
De l’autre côté, dans les 16 secteurs prioritaires qu’on reconnaît comme hautement dangereux depuis 1979, il y a 6 ou 7 groupes qui ne cadreraient plus. Le nombre d’accidents de travail a diminué parce qu’il y a de la prévention. Ça montre que la prévention fonctionne. Mais là, la prévention aurait tellement bien fonctionné qu’on n’en aurait plus besoin ? On ne peut pas calculer ça de cette façon.
On a une grosse bataille à faire. Ça risque de devenir une campagne médiatique. Il va falloir que la population soit mise au courant de tout ça, et ça presse !

Q. IB : Quelle est ta vision sur la façon de raviver la mobilisation ?
R. MP : On dit que, depuis plusieurs années, c’est difficile de mobiliser notre monde. On est content quand il y a 1000 personnes dans une manifestation alors qu’on en représente 600 000, ça n’a pas de sens.
Je pense qu’on n’a pas investi suffisamment en mobilisation. On a tenu pour acquis qu’une personne est une bonne représentante syndicale si elle sait faire de la mobilisation. C’est un métier, la négociation ; comme la mobilisation en est un aussi ! Il va falloir qu’on développe une expertise en mobilisation.
On ne peut pas aller voir nos membres seulement pour un vote de grève ou leur dire comment voter aux élections. On doit entretenir la mobilisation à longueur d’année. Il faut garder nos membres alertes, allumé.e.s.

Q. IB : On sent parfois une certaine montée des idées de droite et de l’individualisme. Comment y réagir comme mouvement syndical ?
Il faut miser sur la communication et rester très proche de notre monde.
Il y en a de moins en moins de comités sociaux dans nos milieux de travail. Quand j’ai commencé à travailler, il y avait une équipe de baseball, on allait jouer aux quilles, il y avait une sortie à la cabane à sucre chaque année, on allait à la pêche avec les familles durant l’été. Tout ça n’existe plus.
Et nous, les syndicats, on n’a pas pris la balle au bond. La montée de la droite, ça va avec la montée de l’individualisme.
[suite, p. 6]
Souvent, ce ne sont même pas les plus riches dans la société qui vont voter pour les partis de droite. Les électrices et électeurs ne réalisent pas qu’ils travaillent pour le 1 % des plus riches.
La droite a vraiment peaufiné son approche en matière de communication. Il y a 10 ans, tout le monde savait que Pierre Poilievre était d’extrême droite, très religieux, contre le droit des femmes à l’avortement. Tu l’écoutes parler aujourd’hui [comme chef du Parti conservateur], et tu as quasiment envie de l’inviter à souper ! Ils ont appris à manipuler leur message.
Nous, on doit vraiment se rapprocher de notre monde. Il va falloir qu’on se mette à faire de petits extraits vidéo de 30 secondes, pour expliquer pourquoi on n’est pas d’accord avec tel projet de loi, qu’est-ce que ça signifie, etc. On doit arrêter de parler comme des politiciens, et discuter avec notre monde comme on voudrait se faire expliquer les choses.
Il faut être capable d’expliquer pourquoi on a peur d’un gouvernement dirigé par Pierre Poilievre, de faire remarquer ce qui s’est passé aux États-Unis…
[Les partis de droite] se paient des équipes de communication et de recherche pour savoir comment aller chercher l’intérêt et le vote des gens. On n’a pas ces moyens et ces outils-là. Mais on a la capacité de parler à des centaines de milliers de personnes dans un délai record.

Q. IB : Comme militante syndicale, et comme femme, ton élection a fait du bien. On a le goût de s’impliquer encore plus. Comment vois-tu ton style de leadership ?
Mon leadership, je le vois surtout avec les autres. Présidents, présidentes, c’est bien flatteur, mais la hiérarchie dans ma vie, ça n’a jamais rien changé. Quand je regarde quelqu’un, ce n’est pas tant son rôle ou son titre qui m’impressionne, c’est ce que cette personne défend. Le travail avec les autres, le pouvoir AVEC les autres, voilà ce qui importe ! On est plus puissant ensemble. 

* Cette entrevue est tirée du dernier numéro du magazine Le Métallo, disponible en ligne ici.

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